Tous ceux qui ont écrit sur l'histoire des arts en France n'ont eu garde d'oublier Dupré, l'illustre médailleur de la Renaissance, l'émule de Varin ; mais on ne le connaissait que par son oeuvre. Un de nos meilleurs érudits locaux, Edouard Fleury, a eu le mérite de signaler un passage du curieux Journal que Jean Héroard, médecin de Louis XIII enfant, a consacré aux moindres faits et gestes de son royal client, passage où il est question, en 1604, d'une statue en terre de poterie, présentée par Guillaume Dupré, " natif, ajoute-t-il, de Sissonne, près de Laon ".
Cette précision est confirmée par un acte que nous avons retrouvé dans le fonds du bailliage de La Fère : le 3 avril 1578, Sébastien Dupré, tailleur de pierre à Sissonne, céda à un maréchal des logis du cardinal de Bourbon, des droits sur une maison de cette ville, rue du Pont-Caruelle, qui lui venaient de sa femme, Magdeleine Lefranc. Il s'agit sans doute des parents de Guillaume et la profession du père expliquerait celle de l'enfant, et les facilités qu'il trouva pour les développer. Il est encore permis de supposer que sa famille n'était pas originaire du bourg, car le nom ne s'y retrouve dans aucun autre document. Sans doute l'artisan était-il venu travailler aux bâtiments du château, dont la première pierre avait été posée cinq ans plus tôt. Il était peut-être originaire de Troyes, comme l'ont avancé certains auteurs. Les derniers biographes du grand artiste le font naître en 1574 ; son père serait, en ce cas, venu à point sur les bords de la Souche pour lui permettre d'être Sissonnais. Ajoutons qu'il appartenait à la religion protestante. C'est tout ce que nous savons de ses origines.
Il eut pour maître le sculpteur Barthélémy Prieur, son coréligionnaire, bon et consciencieux artiste qui avait été lui-même l'élève et l'ami de Germain Pilon ; protégé par le connétable de Montmorency, Prieur travailla au Louvre.
Dupré devait épouser sa fille en 1600. Il n'avait que vingt-trois ans, quand il présenta à Henri IV une médaille où le monarque était figuré en Hercule, à côté de Gabrielle d'Estrées. Charmé par le talent du jeune homme et cette galante allusion, il le nomma sur-le-champ son sculpteur ordinaire. " En la gentillesse et la grâce de l'ouvrage qui lui fut présenté, disaient les lettres patentes, ayant reconnu que Dupré promettait quelque chose de grand et hardi s'il était employé à la sculpture, cela meut Sa Majesté de le retenir à son service et de lui donner logis au Louvre, et cent escus d'appointements ". Le 7 octobre 1604, à trente ans, il devenait " conducteur et contrôleur général en l'art de sculpture sur le fait des monnaies et revers d'icelles " ; c'était la charge qu'avait occupée Germain Pilon. Il remplit aussi l'office de commissaire des fontes de l'artillerie de France et celui de valet de chambre du roi. Après l'assassinat de son bienfaiteur, il moula son visage, dont le masque à la cire est exposé dans la galerie de Psyché au château de Chantilly (voir photo). Il avait donné des leçons de modelage au futur Louis XIII, dont il faisait, à Fontainebleau, en 1604, le portrait " tout de son long, en terre de poterie, vêtu en enfant, les mains jointes, l'épée au côté ", alors que le dauphin n'avait que trois ans. Héroard note, en 1607, que l'enfant s'amusait avec de la cire à composer un visage : il fait, écrit-il, tout ce qu'il faut faire et travaille fort dextrement, polit, fait les cheveux, perce les yeux, les oreilles, tout sur la trace grossière que M. Dupré lui en avait faite. Ravi de ce succès, le petit dauphin voulut peindre sur la cire son vieux médecin, et lui fit " une barbe pointue comme une aiguille ".
Les fonctions que Dupré remplissait à l'arsenal lui convenaient. C'était avant tout un sculpteur et un fondeur, ce qui explique son goût pour la médaille coulée et son peu d'influence sur l'art monétaire. Les années d'apprentissage l'avaient nourri de la leçon des artistes italiens, qui avaient été les meilleurs médailleurs du XVIe siècle, et il parvint à les égaler, tout en conservant les qualités de sa race. Son oeuvre séduit par une élégance extrême, une belle ordonnance et la noblesse des attitudes. On a pu dire qu'il était un des grands maîtres de la médaille Française. La plupart des puissants personnages de son temps ont tenu à survivre sous la forme d'un médaillon ; en 1600, voici un magistral connétable de Lesdiguières ; en 1601, Marie de Médicis ; en 1603, Henri IV en cuirasse, accompagné de la reine, à l'occasion de la naissance du dauphin, sa meilleure production, étourdissante d'allure et de fini, dont la grâce fait oublier la présentation un peu théâtrale ; en 1610, Louis XIII en habits royaux et sa mère ; en 1611, le prince de Condé et Charlotte de Montmorency ; en 1612, le doge de Venise Memmo ; en 1613, François de Médicis, le chancelier Brulart de Sillery et le garde des sceaux Séguier ; en 1615, le président Jeannin ; en 1621, le connétable de Luynes ; en 1634, le maréchal de Toiras ; en 1634, un magnifique Cardinal de Richelieu, etc... Il parcourt l'Italie en 1612 et 1613, et en rapporta d'admirables portraits de princes et de cardinaux. A mesure que son talent mûrissait, il. devenait plus Français, peut-on dire, et son style prenait une sobriété classique, comme on peut le voir en se penchant sur l'effigie du médecin Héroard, mort en 1628.
Dupré n'abandonna jamais la sculpture, mais on ne connaît que trois images signées de son ciseau hardi, qui s'entendait si bien à donner la vie à la matière : le buste en marbre du garde des sceaux de Vie, ami d'Henri IV, qui est au Louvre, celui de Sully, exécuté en plâtre à Ermenonville en 1610, propriété du marquis de Gérardin, et un Victor-Amédée, duc de Savoie, équestre, conservé dans le vestibule du palais de Turin. Il faut renoncer à voir en lui l'auteur de la célèbre statue du Pont-Neuf, qui est en réalité de Pierre de Francheville. On lui attribue aussi une charmante statuette d'Henri IV en pied, coulée en bronze, haute de 47 centimètres, et même une pierre gravée en creux, portant la signature G. D. P.
De son existence intime, rien n'a été conservé. " Un excellent homme ", dit laconiquement Mariette. Il mourut, croit-on, en 1642 ou 1643. Madeleine Prieur, née en 1578, décédée le 6 juillet 1648, lui donna au moins cinq enfants : une fille baptisée à Charenton le 3 mars 1602 ; Jacques, né le 29 mars 1603, baptisé le 27 juillet suivant, marié le 19 février 1649 à Tiennette Chavange ; une autre fille, née le 20 janvier 1607 ; Abraham, qui lui succéda dans ses charges et sa profession ; un dernier fils, Paul.
Abraham Dupré, né vers 1604, contrôleur général des monnaies dès 1639 après avoir présenté un chef-d'oeuvre, puis à la mort de Guillaume, sans doute, commissaire général des fontes, fut aussi un médailleur de talent. On connaît plusieurs de ses oeuvres, entre autres Richelieu, en 1641, Louis XIV enfant et Anne d'Autriche en 1643 ; elles montrent un talent consciencieux, sans grande personnalité. Il mourut le 8 juin 1647, âgé de quarante trois ans et fut inhumé le lendemain au cimetière des Saints-Pères, réservés à " ceux de la religion orétendue réformée ". De Denise Truffault, sa femme, il ne laissait qu'un fils, Charles Dupré, dont la destinée est inconnue.
La communauté protestante de Paris nous offre les noms de plusieurs Dupré, sans qu'il soit possible de les rattacher à la lignée du "grand artiste : Gédéon Dupré, Seigneur de Querd.aniel, marié à Charenton en 1650, à Sara de Sancelles, père d'un fils, Robert-Rodolphe, hantise en 1658 ; Jacques, officier d'artillerie et sa femme, Marie Dauphin, qui firent baptiser en 1674 une fille. Marie ; enfin, Daniel et Abraham, réfugiés à Genève après la révocation de l'Edit de Nantes et " assistés d'un viatique " avant de gagner l'Allemagne, l'un en 1700 et l'autre en 1709.
Et c'est pour rappeler le nom de cet illustre Sissonnais que le Conseil Municipal a décidé, le 3 août 1960, qu'une rue de la localité porterait désormais la dénomination " Rue Guillaume Dupré ".
Sources : Histoire de Sissonne (Comte Maxime de Sars)
Mise en page PH.
Ainsi s'exprimait le roi Henri IV en 1603 dans une lettre au Prévôt de Paris par laquelle, après avoir vu une médaille à son effigie et à celle de la reine, il accordait à un graveur depuis peu de temps à son service, né à Sissonne, pension et privilège d'habiter au Louvre et le droit exclusif de produire des médailles " en si grand nombre que bon lui semblera "
Que de chemin déjà parcouru pour ce jeune graveur né en 1574 au foyer d'un tailleur de pierre, Sébastien Dupré, et de sa femme Magdeleine Lefranc.Il n'avait que 23 ans en 1597 quand il présenta à Henri IV une médaille où le monarque figurait aux côtés de sa maîtresse Gabrielle d'Estrées. Henri IV apprécia déjà son talent et le récompensa sur le champ en ces termes : " En la gentillesse et la grâce de l'ouvrage qui lui fut présenté, ayant reconnu que Dupré promettait quelque chose de grand et de hardy s'il estoit employé à la sculpture, cela meut sa Majesté de le retenir à son service et de luy donner logis au Louvre et cent escus d'appointements "Guillaume Dupré épousa en 1601 Madeleine Prieur, fille d'un artiste au service du roi. De leur union naquirent cinq enfants, deux filles et trois garçons : Jacques, Paul et Abraham. Ce dernier poursuivit la carrière de son père. Le privilège accordé à Dupré suscita jalousie et procès de la part des fondeurs de médailles de Paris mais Henri IV tint bon et conserva si bien son estime pour le travail de Dupré qu'il le nomma Contrôleur des effigies en 1604, charge importante qu'il partagea avec J.Pilon, fils du célèbre sculpteur Germain Pilon. Il disposait alors d'un atelier de fonderie dans une aile du Louvre. Le fait que Dupré fût de la religion réformée ne fut pas pour rien dans la protection que lui accorda Henri IV jusqu'à sa mort sous les coups de Ravaillac.
Guillaume connaissait bien le successeur d'Henri IV, Louis XIII. Jean Hérouard, médecin de l'époque, rapporte comment le jeune dauphin fit preuve de patience : " Ramené en la salle pour être tiré de son long en terre de poterie, vêtu en enfant, les mains jointes, l'épée au côté, par Guillaume Dupré, natif de Sissonne, près de Laon... il donna la patience au statuaire tout ce qu'il peut. " Après l'assassinat de son bienfaiteur, dont il moula le visage à la cire, G.Dupré poursuivit son oeuvre au service de Louis XIII qui le confirma dans sa charge jusqu'en 1639, date à laquelle Guillaume transmit sa charge à son fils Abraham. G.Dupré fit un séjour en Italie de 1611 à 1613 au cours duquel il s'inspira des artistes italiens qui avaient été les meilleurs médailleurs du XVIe siècle. Par la suite, il apporta sa propre marque dans un art alors en vogue, celui de la gravure de médailles célébrant souverains et personnages importants. A sa mort le 8 juin 1647, G.Dupré laissait une oeuvre importante.
Henry par la grâce de Dieu roy de France et de Navarre, à notre Prevost de Paris ou son lieutenant et à tous noz autres justiciers et officiers qu'il appartiendra , salut. Notre cher et bien amé Guillaume Dupré, l'un de noz sculpteurs ordinaires nous a faict entendre qu'il auroit employé beaucoup de temps et prins force paine à faire une médaille double en laquelle est représenté d'un costé nostre portraict et effegye avec celluy de la royne nostre très chère et très amée compagne et espouze et soubz l'espaulle de la figure est escript G.Dupré, et au revers de lad. medalle est représenté une alliance de Mars et Pallas, aussi à nostre ressemblance, avec ung petit enffant au milieu posant le pied sur ung daulphin, et au dessoubz desd .figures il y a un aigle tenant une couronne en son becq avecq ceste inscription : propago imperii, laquelle medalle nous aurions trouvée fort agreable et à nostre contentement ... désirant que led. Dupré soit récompensé de son labeur , fraiz et mises, nous luy avons permis et octroyé, permettons et octroyons par ces présentes de faire telle quantité et sy grand nombre desd. medalles que bon lui semblera…soit en or, argent, cuyvre, plomb ny autres matières que ce soit , durant le temps et terme de dix ans prochains……..car tel est nostre plaisir, nonobstant quelconques lettes à ce contraires. Donné à Paris le XXVIIIe jour du mois de juilliet l'an de grâce mil six cens trois et de nostre regne le XIIIIe , signées : Henry et plus bas : Par le roy, Rusé, et scellées en simple queue du grand scel de cire jaulne. "
Sous le règne de Henri IV puis Louis XIII de nombreuses médailles en or et argent dont pas moins de soixante sont connues. Un grand médaillon représentant Henri IV et Marie de Médicis figure à la Bibliothèque Nationale et un médaillon en bronze de Brulard de Sillery, chancelier de France, au Louvre.
On connaît très peu de sculptures de la main de Dupré si ce n'est un buste de marbre de Dominique de Vic, vicomte d'Ermenonville, un buste en céramique de Henri IV au château de Chantilly, une statue en bronze de Victor Amadeus de Savoie au Palais Royal de Turin.
G.Gupré s'est essayé également dans l'art de la gravure de diamant et particulièrement l'intaille (gravure en creux). On cite comme la plus remarquable le portrait de Maurice de Nassau, prince d'Orange, une intaille en saphir. Mais c'est comme graveur de médailles que G.Dupré a marqué son temps. Les spécialistes lui reconnaissent l'originalité d'avoir été le premier à appliquer l'art de la sculpture à la gravure de médailles.
Lorsque Sissonne a donné son nom à une école et une rue de notre ville il ne s'est donc pas montré ingrat envers
Renel LEROY