Vous allez retrouver dans ces pages l'histoire du Camp National de sa création à maintenant. Les documents présentés proviennent des archives départementales. Nous essaierons de garder une certaine chronologie des événements qui ont abouti au Camp actuel.
Le Général de France, commandant la 4e division d'infanterie à M. le Colonel Directeur du Génie à La Fère.
Par sa dépêche, en date du 13 avril 1892 M. le Général Commandant le 2e Corps d'Armée m'a prescrit de vous adresser, après en avoir pris connaissance, la dépêche ministérielle du 6 avril 92 relative au projet de création d'un terrain régional de manoeuvre et de tir, et le rapport sur ce sujet de M. le Com.t MORIN chef d'Etat Major de M. le Général Gouverneur de La Fère.
En conséquence j'ai l'honneur de vous faire l'envoi des pièces ci-dessus indiquées.
Je vous prie de m'adresser pour le 10 mai, le travail que (vous) établirez et sur lequel je dois faire connaitre mon avis à M. le Général Commandant le 2e Corps d'Armée
Signé : Gal de France.
Rapport du chef de bataillon MANGARD, chef du Génie, au sujet de la création d'un terrain régional de manoeuvres et de tir. (Dépêche ministérielle du 6 avril 1892).
Les études préliminaires entreprises par M. le commandant MORIN, pour la recherche d'un terrain régional de manoeuvres et de tir dans le 2ème corps d'Armée, ont amené à choisir la région de Sissonne.
Les conclusions des nouvelles études entreprises dans cette région, en exécutions des Instructions de Monsieur le Général Commandant le 2ème corps d'Armée, en date du 13 avril 1892, sont résumées ci-dessous.
Champ de manoeuvres et de tir.
Aux termes de la Dépêche ministérielle du 6 avril 1892, le terrain régional de manoeuvres et de tir doit avoir une longueur totale de 7200 mètres, dont moitié sur 1500 m et moitié sur 2000 m de largeur. On s'est d'abord préoccupé de trouver un emplacement permettant l'établissement de ce terrain, dans des conditions aussi avantageuses que possible.
Les terrains les plus favorables sont ceux qui sont situés à l'Est de Sissonne. Ils sont généralement secs, peu bâtis, dépourvus de voies de communication importantes, la culture en céréales et les jeunes futaies qui les recouvrent y ont relativement peu de valeur. La culture de la betterave tend à s'y introduire, mais elle ne commence actuellement qu'aux villages les plus rapprochés des stations d'Amifontaine et Coucy, sur la ligne de Laon à Reims.
Il paraît possible, sans acheter d'immeubles ni qu'il soit besoin d'interdire la circulation sur des voies de communication classées, de trouver un emplacement remplissant les conditions cherchées et ayant les dimensions minima demandées. Cet emplacement limité par un liseré jaune sur la carte au 1/20000 annexée au présent rapport, n'est jamais inondé, l'eau n'y séjourne à la surface, en cas de pluies permanentes, que sur une faible largeur au fond du petit talweg qui aboutit aux sources de la Souche. Il comprendrait un espace de 4000 m sur 1500 m de largeur, légèrement boisé mais assez découvert permettant le tir de l'Artillerie vers la ligne de faîte cotée 126-123, l'autre surface de réception de 3600 sur 2000 m de largeur en pente descendante, sans habitations ni chemins fréquentés et classés. La première partie n'est pas favorable au tir de l'Infanterie ; bien que peu accidentée, elle présente des dénivellations assez nombreuses, la vue n'y est pas découverte entièrement sur une étendue de 2 kilomètres. On propose d'y adjoindre le terrain contigu en avant du mamelon coté 117 lequel présenterait depuis l'origine du champ de tir de l'Artillerie et sur une longueur de 2000 m un terrain éminemment favorable au tir de l'Infanterie.
Conformément aux prescriptions ministérielles il n'a pas été engagé de pourparlers, pour l'acquisition ou la location de terrains. Les renseignements ont été demandés aux autorités locales.
Le prix d 'achat des terrains, tant qu'ils ne seront pas cultivés en betteraves, pourra varier entre 400 F et 800 F l'hectare, suivant plantations en céréales, jeunes futaies ou bois. Le prix moyen d'achat sera de 600 F l'hectare.
Le prix moyen de location serait de 15 F 00 l'hectare. Les propriétaires, au nombre de cinq cents, accepteraient en partie une location par bail à l'année, sans être tenus à cultiver, mais cette location ne pouvant être imposée, on ne peut être exactement fixé à ce sujet, qu'après pourparlers et engagements écrits de tous les propriétaires.
La superficie des champs de tir, égale à celle du terrain de réception serait de 650 hectares soit en chiffres ronds, une surface totale de 1300 hectares à occuper.
La dépense à prévoir, peut en conséquence varier suivant instructions à intervenir pour achat ou locations, entre une somme de 780 000 F, ou une dépense annuelle de 19 500 F représentant à 2,50 % seulement, l'intérêt du capital.
Conformément aux Instructions de Monsieur le Général Commandant le 2ème corps d'Armée, on a étudié l'organisation dans cette région, d'un campement ou baraquement pour une brigade, et celle d'un terrain de tir et de manoeuvres plus vaste et pouvant permettre des manoeuvres à double action.
Le terrain contigu au champ de tir ci-dessus, le mieux approprié pour le baraquement d'une brigade paraît être celui qui borde le champ de tir à l'Ouest vers Sissonne.
Ce terrain, limité par un liseré rouge sur le croquis ci-joint, est sec, d'un accès facile sur toutes les faces et dépourvu d'habitations.
Les sources de la Souche, à 200 mètres de distance, sont constituées par de petits îlots sablonneux desquels l'eau sourd en bouillonnant sans pression. Ces sources sont abondantes, elles ne tarissent que très rarement et en partie, l'eau y est bonne, mais on pourrait probablement être autorisé à les capter en tout ou partie. La nappe liquide à l'emplacement du camp précité est située à peu de profondeur au-dessus des points bas. Il serait facile d'installer en un de ces points, une pompe à vapeur ou à manège, pour élever l'eau dans un réservoir métallique d'alimentation, duquel partiraient les conduits de distribution. L'évacuation des eaux vannes se ferait en dehors du camp à l'air libre par le fossé du chemin vicinal n° 17.
L'examen des types de baraques employées dans les différents camps en France, a conduit à proposer une baraque à double parois en maçonnerie, avec fermes en madriers de 6 m de portée, planches, couverture en tuiles, d'un type analogue à celles qui ont été construite en 1860 au camp de Châlons et en 1871 et 1872 aux camps de Ruchard et de Sathonay.
Des baraques de ce genre, de 28 m de longueur, pour 40 hommes et des sous-officiers logés séparément aux extrémités, coûteraient environ 44 F le mètre carré, soit une somme de 7200 F par baraque.
Ces baraques seraient placées comme il est indiqué au croquis, leur nombre serait à raison de 3 baraques par compagnie et 3 autres pour le petit état-major, la section hors rang, les ateliers et magasins, de 39 par régiment d'Infanterie soit pour 2 régiments, 78 baraques.
Ce baraquement permet le logement dans des chambres distinctes, disponibles aux extrémités des baraques, des sous-lieutenants, lieutenants et capitaines de chaque compagnie. Il ne resrerait à loger que les officiers supérieurs et de l'état-major du régiment. On propose pour ces derniers des baraques du type des baraquements des camps de la Valbonne ou de la Meuse dont le prix de revient est de 545 F pour un capitaine et 1500 F pour un officier supérieur.
Les écuries pour 60 chevaux du type de la Meurthe qui paraîssent les plus avantageuses reviendraient à 280 F par cheval.
Le prix de revient d'un baraquement pour une brigade, installé dans ces conditions provisoires, mais très suffisantes au point de vue hygiénique, peut en conséquence être évalué ainsi qu'il suit :
78 baraques à 7200 F pour les sous-officiers et la troupe | 561 600 F |
baraques d'officiers pour 12 officiers subalternes et 8 officiers supérieurs | 18 500 F |
baraques écuries pour 60 chevaux | 16 800 F |
6 cantines de 20 m sur 6 m ( 720 m² ) | 31 600 F |
6 cuisines de 16 m sur 6 m ( 576 m² ) | 25 400 F |
2 Infirmeries de 40 m sur 6 m ( 480 m²) | 21 100 F |
Hangars aux voitures de 400 m² à 15 F | 6 000 F |
Latrines 100 stables à 120 F | 12 000 F |
soit pour le baraquement d'une brigade, accessoires compris | 693 000 F |
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Au cas de construction de baraques pour les officiers et les accessoires seulement, les sous-officiers et soldats logeant sous la tentes, cette dépense se réduirait à une somme de 151 600 F.
La cavalerie et l'artillerie pourraient être logées dans des baraques construites le long de la face ouest du terrain. En plaçant les chevaux dans de simples abris-écuries, avec couverture en carton comprimé et laqué, du type employé au camp de Chalons, la dépense de construction reviendrait à 40 F par cheval et les frais nécessités par le baraquement d'un régiment de cavalerie à cinq escadrons peuvent être évalués ainsi qu'il suit :
20 baraques pour sous-officiers et soldats | 144 000 F |
baraques pour 3 officiers supérieurs et 34 officiers subalternes | 23 000 F |
baraques, abris-écuries pour 730 chevaux | 29 200 F |
accessoires cuisine, cantines, infirmerie | 45 000 F | total pour un régiment de cavalerie | 241 200 F |
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Il faut ajouter à ces chiffres le prix d'achat des terrains dont la superficie est de 55 hectares, ainsi que les dépenses à prévoir pour l'installation de l'alimentation en eau et l'évacuation des eaux viciées. Ces dépenses s'élèveraient à une somme de 40 000 F dont 35 000 F pour l'achat de terrain.
On peut constituer un champ de manoeuvres beaucoup plus vastes, en s'étendant, soit au Nord, soit au Sud, du terrain déjà proposé.
L'extension vers le nord ne nécessiterait que l'achat de la ferme de Buchancourt, contenant 50 hectares planté récemment en bois. Cette ferme pourrait être acquise au prix de 20 000 F environ. Cet achat sans être indispensable au champ de tir minimum déjà proposé, y améliorerait notablement encore les conditions de sécurité. La limite Nord du terrain à acquérir dans ce cas devrait être tenue à 200 m au moins de la route fréquentée de Sissonne à La Selve et de la ferme de Macquigny qui comprend 150 hectares et dont on transforme actuellement la culture. Cette limite est figurée au croquis par un liseré bleu.
Il paraît possible de s'étendre vers le sud autant qu'il serait besoin, mais cette extension nécessiterait l'achat des trois fermes de Joffreicourt dont l'une est restaurée actuellement et de la ferme du Buisson et le village de La Malmaison serait compris dans la zone de réception en cas de tir de l'Artillerie dans la direction de Joffreicourt.
On peut en conséquence, dans les conditions les plus économiques possibles, sans nuire à aucune communication importante et avec l'achat d'une seule ferme de très peu de valeur, organiser dans cette région, un champ de tir et de manoeuvres tel qu'il est indiqué par un liseré bleu, d'une superficie totale de 2100 hectares, non compris le terrain pour baraquements.
On pourrait exécuter sur cet emplacement des manoeuvres à double action et des tirs de l'Artillerie, soit à l'Est, soit à l'Ouest sur la ligne de faîte cotée 120-126-127.
Ce champ de manoeuvres pourrait être étendu vers le sud, autant qu'il serait nécessaire.
La dépense supplémentaire à prévoir pour le champ de manoeuvres ainsi défini pourrait varier entre des sommes de 12 000 F et 490 000 F suivant location ou achat des 815 hectares complémentaires.
En résumé,
Le champ de tir et de manoeuvres tel qu'il est défini à la dépêche ministérielle du 6 Avril 1892, peut être organisé dans des conditions favorables aux environs de Sissonne, moyennant location ou achat d'environ 1300 hectares de terrain. La dépense à prévoir serait de 19 500 F pour location et de 750 000 F pour achat de l'ensemble de ces terrains.
Un baraquement pour une brigade peut y être établi également dans de bonnes conditions, avec une dépense de 730 000 F, dont 690 000 F pour baraquements, accessoires complets compris, et 40 000 F pour achat de terrains, alimentation en eau et travaux divers. Cette dépense se réduirait à 190 000 F, au cas où la troupe serait campé, les officiers et les accessoires des camps, étant seuls installés sous des baraques.
Il est possible dans la même région, d'installer dans des conditions relativement économiques, un champ de tir et de manoeuvres aussi étendu qu'il serait besion. En limitant ce terrain à une superficie de 2100 hectares, la dépense supplémentaire s'élèverait à une somme de 12 000 F pour location et de 490 000 F pour achat de l'ensemble des terrains à ajouter au champ de tir et de manoeuvres primitif.
Le chef de bataillon d'Etat-major du Général Gouverneur de La Fère.
Le chef de Génie.
D'après le rapport du chef du génie, dont les propositions sont, dans leur ensemble, les mêmes que celles faites antérieurement par le Commandant MORIN, il serait possible d'établir dans de bonnes conditions d'assiette, un camp, un champ de tir pour l'Infanterie, un champ de tir pour l'Artillerie et un champ de manoeuvres dans l'angle compris entre le chemin de Sissonne à La Selve et de Sissonne à La Malmaison. La surface varierait entre 1300 à 2100 hectares.
Les renseignements recueillis sur place auprès de personnes autorisées et compétentes ont fait connaître que le prix moyen actuel de location des terrains est de 15 F l'hectare : c'est à peu près le prix de la location des terrains du camp du Ruchard.
Malheureusement les terres à louer appartiennent à plus de 500 propriétaires , avec lesquels il serait impossible, à notre avis, d'arriver à une entente ; en tout cas, nul doute que leurs prétentions ne dépassent de beaucoup les chiffres de location ci-dessus dès qu'ils apprendraient la Directive ministérielle donnant l'établissement d'un champ de tir à Sissonne.
On devrait avoir recours à une expropriation et là encore les prix des acquisitions dépasseraient de beaucoup les prix de vente actuels, c'est-à-dire 600 F l'hectare.
Nous ne croyons pas exagérer en admettant que les prix de location (l'entente supposée possible) dépasserait 25 F l'hectare et que les prix d'acquisition atteindraient 800 à 900 F l'hectare.
Ce serait donc une location annuelle de 30 000 à 35 000 F ou une dépense immédiate d'acquisition de 1 million et plus pour un champ de tir de 1300 hectares.
Les chiffres ci-dessus seraient augmentés de moitié pour obtenir un champ de tir et de manoeuvres de 2100 hectares.
Les terrains du champ de tir sous-loués par l'Etat avec la servitude du tir et des manoeuvres ne diminueraient que dans une faible proportion les charges de la location ou de l'acquisition.
D'après les calculs du Chef du Génie, un camp baraqué pour une brigade coûterait environ 700 000 F ou 200 000 F si les officiers seulement et les accessoires du camp étaient installés sous des baraques.
A La Fère, le 17 mai 1892.
Le Colonel, Directeur du Génie.
Ainsi que le chef du Génie l'avait indiqué dans son rapport deu 7 novembre dernier, le jugement d'expropriation a été publié par le journal Le Courrier de l'Aisne, dans son numéro du 10 courant.
Les affiches, qui ont été tirées en même temps que le journal, ont été remises, dès le lendemain, à la préfecture de l'Aisne qui les a fait parvenir aussitôt aux maires des communes de Sissonne et de Lappion.
Les formalités d'affichage une fois remplies, un adjoint du Génie de la chefferie de Laon s'est rendu sur les lieux pour notifier ledit jugement aux propriétaires intéressés. Les opérations relatives à ces notifications ne seront guère terminées avant le 20 novembre.
Enfin le chef du Génie est à l'heure actuelle en conférence avec le notaire de Sidssonne pour arrêter les bases sur lesquelles devront être rédigés les actes d'adhésion à intervenir. La rédaction de ces actes pourra vraissemblement être commencée de suite.
Le camp de Sissonne a été inauguré hier 17 juillet par le 45ème R.I. en garnison à Laon, arrivé la veille.
Et de la cérémonie, c'est à peu près tout ce que nous avons à dire. Pas un arc de triomphe dans le bourg, pas une inscription. Pardon, nous en voyons de toutes récentes, mais ce ne sont que des enseignes de buvettes. A l'arrivée du Général STROHL, Commandant la 5ème Brigade, a qui est dévolu le commandement du camp, rien. C'est trop peu.
On nous a assuré que le Général d'AUBIGNY, Commandant le 2ème corps d'armée, aurait témoigné le désir qu'il n'y ait aucune réception officielle, nous comprenons fort bien dans ces conditions, que les autorités se soient fait un devoir de déférer à ce désir, mais cela ne suffit point pour nous expliquer la réserve un peu trop froide de la population.
A part quelques rares bâtiments, le camp est constitué de toiles de tentes et d'abris légers.
Un crédit de 1.000.000 F est accordé pour l'aménagement du camp.
Les grands travaux sont terminés avant la guerre de 1914.
Recherches : JF MARTIN
Mise en page : Marc BERRIOT - PH