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Les personnalités remarquées par « Adémir »

Lettre de Claude Nardon à Valère Léon Perseguers

24 octobre 1933

Mon cher Perseguers,

C'est avec plaisir que je vous envoie le témoignage que vous me demandez sur les circonstances qui ont motivé notre atterrissage dans les lignes ennemies le 11 Avril 1917 et la blessure que vous avez reçue à cette occasion.

Nous étions partis de notre terrain la ferme de Rosnay, le 11 Avril au matin pour effectuer un réglage d'artillerie sur une batterie ennemie dont la position se trouvait dans les parages d'Alguicourt (1) si mes souvenirs sont bien exacts. Le réglage s'effectuait normalement et j'avais enregistré un coup au but, lorsque tout d'un coup un bruit anormal, comme celui d'une batterie de cuisine dont les pièces s'entrechoqueraient violemment, nous fit sursauter et nous retourner et nous vîmes près de nous un avion allemand qui faisait demi-tour après nous avoir envoyé une rafale de mitrailleuse qui, atteignant le moteur, avait produit le bruit violent qui nous avait signalé sa présence.

Heureusement le moteur à l'avant duquel nous nous trouvions sur notre Farman 170 CV Lorraine nous avait protégé. Aussitôt, avec un sang-froid auquel je me plais à rendre hommage, vous avez mis l'appareil en descente en spirale, de façon à empêcher le tir de notre adversaire d'être précis, tout en dirigeant l'axe de cette spirale vers les lignes françaises, mais hélas, la première rafale avait atteint le moteur et celui-ci avait cessé de tourner.

Tandis que vous manoeuvriez ainsi, les trois avions allemands qui nous attaquaient, car il étaient trois ainsi que le mentionne la citation à l'ordre de l'armée qui nous fut décernée, successivement nous envoyaient leurs rafales de mitrailleuse tandis que moi-même, quand je pouvais en apercevoir un dans le champ de ma mitrailleuse Hotchkies, je tirai mais sans résultat, à cause de notre mouvement en spirale qui rendait le tir difficile d'autant plus que sur notre appareil je ne pouvais ni tirer sur l'arrière, ni tirer en dessous des plans, nous trouvions donc presque sans défense sous le tir des trois avions ennemis. Heureusement, grâce à cette descente en spirale serrée, nous formions une cible difficile à atteindre et notre moteur nous protégeait et si le vent défavorable ne nous avait pas gêné considérablement, nous aurions pu probablement regagner nos lignes. Nous n'avons pu y réussir et nous avons atterri sans casser du bois grâce à votre habileté dans les marais entre le canal et la ????? entre la 1ère et la 2ème ligne boche.

Nous sommes descendu de notre Farman et ayant constaté qu'une large poche pleine d'essence s'était formée, j'y déposait les plans et les papiers que j'avais en ma possession et avec votre boîte d'allumettes vous y mettiez le feu qui se développa rapidement. Comme les balles des bandes de ma mitrailleuse commençaient à fuser, nous nous écartâmes et aussitôt les sifflements se firent entendre et une balle vous atteignit à la jambe droite. C'était les boches de la 1ère ligne qui nous tiraient dessus. Aussitôt, un sous-officier boche suivi de quelques soldats apparut. L'artillerie française tira sur eux sans les atteindre puis cessa le feu quand ils furent près de nous. Nous fumes emmenés dans la tranchée de 2ème ligne et là on nous fit descendre dans un abri assez profond où des officiers nous firent subir un interrogatoire très court et on nous sépara, vous restant dans la tranchée à cause de votre blessure, quant à moi je fus emmené par 2 soldats boches à pied jusqu'à La Selve où j'arrivais complètement éreinté. Un autre m'emmena ensuite à Sissonne où commença réellement ma captivité.

Voilà mon cher Perseguers le récit que j'ai pu reconstituer de notre descente par 3 avions ennemis mais je me dois de reconnaître que c'est grâce à votre habileté et maîtrise de pilote si nous avons pu réchapper à la mort et que je suis persuadé que si nous avions eu un appareil plus maniable que notre Farman, comme les Sopwith dont fut doté peu de temps après notre capture notre escadrille F-215 nous aurions pu réussir à regagner nos lignes.

Recevez les vives amitiés ...

1 - (en fait Aguilcourt)


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