Jeoffrécourt se trouve à 6 kilomètres de Sissonne, au milieu de la zone sud du camp militaire. Il s'agit aujourd'hui d'un simple lieu-dit au fond d'un vallon, envahi par les arbustes et les ronces. Le site est dominé au sud par une butte qui porte un toponyme révélateur, la "Terre aux Luziaux" Mot picard qui désigne un cercueil ou un sarcophage. Des ossements humains et des sarcophages sont mis au jour pour la première fois par les labours au XIXe siècle. En 1869, une petite fouille permet de dater le cimetière du haut Moyen Âge. En 1960, des squelettes sont exhumés lors de manoeuvres militaires : 9 sépultures sont fouillées dans l'urgence. C'est seulement à partir de 1985 que des fouilles systématiques sont réalisées par le groupe archéologique de Sissonne pour sauver le site menacé de destruction par les manoeuvres des chars militaires. L'Armée prend alors des mesures de protection, et les investigations se poursuivent sous la forme de "fouilles programmées", en raison de l'intérêt scientifique du site. Elles ont livré les traces d'un habitat occupé du milieu du VIe siècle à la fin du IXe siècle et de son cimetière. Jusqu'à présent vingt édifices, habitations et ateliers, ont été dégagés. Mais le principal intérêt des recherches en cours est l'étude du cimetière contigu. Un édifice cultuel y a été mis en évidence, ce qui est très rare et constitue même une découverte exceptionnelle.
La partie ouest du chantier est occupée par un habitat du haut Moyen Âge.
Il se présente sous la forme de trous de poteau, fosses, silos et « fonds de cabane ».
Ces petits bâtiments semi-enterrés servaient d'annexes, ateliers, lieux de stockage, abris pour les animaux, voire d'habitations sommaires.
Entièrement réalisés en matériaux périssables, il ne subsiste aujourd'hui de ces édifices que des traces creusées dans le sol.
Un bâtiment plus étendu retient l'attention, notamment par la présence d'une cave couverte par un plancher reposant sur trois poutres calées dans des saignées creusées dans le substrat calcaire de part et d'autre de la cave.
Les murs étaient formés de petits poteaux plantés espacés de 30 cm.
Les reconstitutions grandeur nature du parc archéologique du Musée des Temps Barbares à Marle, donnent une bonne idée des formes architecturales en usage à cette époque, spécialement à Jeoffrécourt.
Les fragments de poterie, ossements animaux et objets divers découverts illustrent les activités des habitants.
L'agriculture et l'élevage occupaient l'essentiel des énergies.
Le filage, le tissage et la tabletterie sont également attestés. Ainsi, les vêtements, les outils et la plupart des objets de la vie quotidienne étaient vraisemblablement fabriqués sur place.
Un cimetière a été implanté au sommet de la butte au VIe siècle, à quelques mètres de l'habitat.
Près de 500 sépultures ont été fouillées à ce jour, sur les 6 ou 700 que le cimetière doit compter.
Les sépultures sont orientées selon un axe est-ouest, les pieds vers l'est et tête à l'ouest.
Certaines inhumations ont été faites dans des sarcophages de pierre calcaire ou de plâtre, mais la plus grande partie des corps était déposée directement en terre, parfois dans un coffre de bois maintenu par un blocage de pierres.
Pendant les trois ou quatre siècles d'utilisation, les rites funéraires ont beaucoup évolué, principalement sous l'influence du christianisme.
A l'époque mérovingienne, aux VIe et VIIe siècles, le défunt est enterré habillé avec armes ou outils pour les hommes et bijoux pour les femmes, avec un petit vase d'offrande.
Les tombes sont disposées en rangées et signalées par des stèles de pierre calcaire décorées.
Les tombes d'enfant sont très rares.
Au VIIIe siècle, l'inhumation habillée disparaît, de même que les dépôts d'objets.
Les sépultures sont disposées de façon plus irrégulière et il n'y a plus de stèle.
Les tombes d'enfant deviennent beaucoup plus fréquentes.
Elles représentent 30% du total, ce qui correspond à un taux de mortalité infantile élevé, mais qui se situe dans la norme des sociétés anciennes.
Il est extrêmement rare de retrouver, durant le haut Moyen Âge, des témoignages concrets de la christianisation des campagnes du nord de la France, spécialement un lieu de culte chrétien dans un cimetière mérovingien.
Il reste peu de traces de l'église ou plutôt de la chapelle qui existait au milieu du cimetière de Jeoffrecourt, mais elles sont suffisamment significatives.
Il ne subsiste que des poteaux de bois du premier état, entièrement édifié en matériaux périssables.
Le bâtiment est reconstruit en dur à une époque indéterminée.
Seule une fondation, peut-être celle du chevet, a échappé à l'érosion.
Elle était implantée à l'emplacement de cinq sépultures mérovingiennes.
Les constructeurs ont vidé partiellement les tombes (les jambes, situées à l'extérieur du bâtiment, sont préservées) pour asseoir la fondation sur un sol ferme.
Les nombreuses pierres recueillies dans les fosses et silos alentour, témoignent d'une construction solide, dotée de fenêtres et de vitraux comme l'attestent plusieurs fragments de verre plat.
Il est difficile de préciser les fonctions de cet édifice, chapelle funéraire comme pourraient le suggérer les deux tombes creusées à son emplacement, mais violées, lieu de culte occasionnel ou permanent.
Outre la chapelle, le cimetière renferme une unité d'habitation composée de deux fonds de cabane à six trous de poteau.
Il y a en outre vingt-huit silos qui servaient au stockage des récoltes (céréales et légumineuses).
Ce sont des fosses circulaires de diamètres et profondeurs variables, la plus volumineuse descend à deux mètres de profondeur.
Cet ensemble de cabanes et silos pourrait correspondre à la maison du desservant du lieu de culte.
Les silos n'ont pas tous été utilisés en même temps mais le volume de stockage dépasse les besoins d'un seul individu.
Il est clair que l'habitat et les silos ont été utilisés en même temps que la nécropole.
Les sépultures bordent les bâtiments.
Plusieurs tombes ont été détruites par les silos mais d'autres sépultures recoupent des silos.
Voir aussi Sissonne... Ancienne cité gallo-romaine et mérovingiennne
Mais aussi Histoire de la ferme de Jeoffrécourt
SISSONNE (AISNE), "JEOFFRECOURT" UN VILLAGE DU HAUT MOYEN ÂGE
Fouilles programmées pluriannuelles depuis 1998 faisant suite à des fouilles d'urgence réalisées en 1960 et aux fouilles de sauvetage à partir de 1985. La conduite est faite sous la direction de Jean-François MARTIN (AREAHRS)
Crédit iconographique : Annette Charpentier (AREAHRS), Michel Charpentier (AREAHRS), Richard Briols (AREAHRS)
Référence : Plaquette n° 31 de 2005, Archéologie en Picardie
Publication Gilles DELCAMPE
Recherches : Jean-François Martin
Mise en page : Marc Berriot